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Cultiver l’abondance à Grand Garten

 

 

On traverse les belles montagnes suisses de la région d'Appenzell puis la bavière allemande sous une pluie torrentielle pour atteindre notre dernier pays : l’Autriche. On pose le van dans la vallée autour de Vienne, à Absdorf. C’est ici que nous rencontrons Alfred et Lisi Grand de la ferme maraîchère Grand Garten. Ils sont ravis qu’on leur amène la pluie, mais c’est loin d’être un sentiment partagé. Nous, on est surtout avide de beau temps.

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Nora et Alfred Grant dans le champ de lentilles 

Un entrepreneur dans l’âme

 

 

Alfred Grand se définit comme un agriculteur bio et entrepreneur. Issu d'une longue lignée d'agriculteurs, avec 4 ou 5 générations derrière lui, il n'envisageait pas de reprendre la ferme durant sa jeunesse, préférant se diriger vers la mécanique automobile. Les terres environnantes sont principalement dédiées à la culture de la betterave à sucre, avec de nombreux vignobles alentour. Sa mère travaillait dans un Heuriger, un restaurant typique autrichien qui, à l'origine, ne servait que du vin primeur de l'année précédente. Depuis longtemps, les viticulteurs autrichiens ont le droit de vendre leur propre vin sans licence. Aujourd'hui, ces établissements offrent une variété de plats, vins et autres boissons.

 

Il y a 25 ans, Alfred a commencé à produire du vermi-compost, étant alors le seul en Europe. Il a concentré son activité sur la production de vermicompost et de légumes, abandonnant la viticulture. En 2006, il a décidé de convertir la ferme en agriculture biologique, marquant ainsi le début d'une nouvelle ère pour l'exploitation.

Une partie de l'équipe au Heuriger près de la ferme 

La création du Market Garden

 

 

 

Grand Garten est un market garden créé en 2019. Le concept est basé sur l’utilisation efficace de petites surfaces de terre avec du travail manuel et des équipements simplement mécanisés dans le but d’obtenir des rendements élevés par hectare et de commercialiser une grande variété de légumes.

 

 

MARKET GARDENING : PETITE SURFACE, MANUEL, DIVERSIFIE, CIRCUIT COURT

 

 

Ils appellent cela la « diversité des légumes fabriqués à la main », et il ne s’agit pas d’agrandir constamment l’exploitation pour produire plus et rester compétitive. Au contraire, l’objectif est d’optimiser la culture de ces petites surfaces de manière à ce que leur productivité maximale puisse être atteinte naturellement. La vente se fait dans les restaurants et sous forme de box pour les consommateurs en direct, avec des précommandes chaque semaine. Ils ont la certification régénérative* depuis peu, ils espèrent que ça les aidera à vendre davantages encore.

La ferme maraîchère : Grand Garten 

* Regenerative Organic Certified (ROC) Créé en 2017 par une alliance de chefs d’entreprise et d’agriculteurs, dont Patagonia est un des membres fondateurs. La Regenerative Organic Alliance est un groupe d’entreprises et d’organisations travaillant ensemble pour créer la Regenerative Organic Certification. La ROA est dirigée par le Rodale Institute et a notamment pour membres Dr Bronner’s, Compassion in World Farming, la certification Demeter et le Fair World Project.ROC est la norme biologique la plus exigeante, qui réhabilite les sols, protège les animaux et améliore la vie des ouvriers agricoles, grâce à des actions de justice sociale comme le paiement d’un salaire de subsistance, des conditions de travail équitables, des offres de formations et d’autres chances d’améliorer leur statut socio-économique. Les techniques Regenerative Organic comprennent les cultures de couverture, la rotation des cultures, le croisement des cultures, le non-labour ou le faible labour, et le compostage…

Alfred réalise de nombreuses visites guidées sur sa ferme.

L’importance de la recherche et du développement

 

 

Un an plus tard, en 2020, Alfred Grand a souhaité élargir les activités de sa ferme pour inclure la recherche et les démonstrations, en plus de la production. Son premier contact avec le monde scientifique remonte à 20 ans, lors d’un voyage aux États-Unis. À cette époque, il explorait les techniques de compostage par les vers de terre et a visité l’Université de Berkeley en Californie. Une étude sur ce type de compostage y était menée, mais les chercheurs n’ont pas obtenu de résultats significatifs en raison d’un manque d’expérience pratique. Cela lui a fait comprendre que science et pratique doivent impérativement collaborer étroitement.De retour en Autriche, il a initié plusieurs projets de recherche en collaboration avec l’Université des ressources naturelles et des sciences de la vie appliquées, ainsi qu’avec presque toutes les institutions de recherche autrichiennes.

 

En 2014, Alfred Grand a eu l’opportunité de s’impliquer à l’échelle européenne. Il a été invité à rejoindre trois groupes de discussion au sein du Partenariat européen pour l'innovation en agriculture (EIP-AGRI). Cette participation a conduit à de nouvelles collaborations, et aujourd’hui, GRAND FARM est engagé dans plusieurs projets de recherche internationaux et réseaux thématiques. Alfred Grand est également membre du Mission Board for Soil Health and Food, un comité de 15 membres qui conseille la Commission européenne.Les liens avec les États-Unis ont été maintenus, notamment avec l’Institut Rodale, le plus ancien institut de recherche en agriculture biologique d'Amérique du Nord, et l’Alliance pour l’agriculture régénératrice, où Alfred Grand siège au conseil d'administration. Toutes ces activités de recherche bénéficient non seulement aux agriculteurs, mais aussi à la protection de l’environnement et du climat, à la biodiversité, et en fin de compte à la société dans son ensemble. Les collaborations de recherche de la ferme sont axées sur trois domaines principaux : la santé des sols, l’agroforesterie et le maraîchage.

Les cultures de tomates et le mais 

Les tests sur les grandes cultures

 

Alfred produit de la luzerne, du blé, du maïs, du chanvre (pour les vêtements), des lentilles et du sarrazin. Alfred affirme qu’il n’y a pas de changements rapides en bio. Actuellement, il vient de louer un nouveau terrain, qui est passé en bio il y a trois ans seulement. Il a cultivé du chanvre sur ce nouveau terrain mais aussi sur un terrain plus ancien. Il y avait du maïs l’année d’avant sur l’ancien terrain et des haricots sur le terrain nouvellement loué. C’est la culture sur l’ancien terrain qui a mieux fonctionné. Les rendements dépendent aussi des cultures précédentes et de la qualité du travail du sol d’une année sur l’autre. Ils veulent combiner agriculture biologique et régénérative des sols.Nous allons nous intéresser davantage à la culture de lentilles. Nous la trouvons intéressante car moins habituelle que du blé, mais surtout, car Alfred a réalisé trois tests de culture sur la lentille cette année.

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Visite des grandes cultures 

Pour comprendre la culture de lentilles

 

 

Les lentilles ont de nombreux atouts. Ce sont des légumineuses, qui captent l’azote dans l’air grâce à une symbiose avec des bactéries du sol (formation de nodosités sur la racine des lentilles). Elle laisse un peu d’azote pour la culture suivante donc c’est un très bon précédent. Les prix de la lentille en bio sont avantageux.

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La lentille est peu impactée par les ravageurs. Les cétones et les pucerons peuvent apparaître en début de cycle. A partir de la floraison, la bruche de la lentille peut être un problème. C’est un coléoptère dont la lentille (et d’autres légumineuses) est la plante hôte. L’adulte sort de la graine durant le stockage. En AB, le principal moyen pour les détruire est la congélation durant 25 jours à -20°C.La gestion des adventices est “LE” point délicat de la culture. Il vaut mieux implanter des lentilles sur des parcelles laissées « propres » d’un point de vue flore adventice. Les solutions de désherbage sont limitées par la suite.Le “Roller crimper system” à Grand garten Il réalise deux méthodes de culture de lentilles pour réaliser des tests scientifiques.

 

 

1. La méthode classique biologique

 

 

Réalisation d’un couvert végétal ( caméline, fenugrec, gesse, moutarde…) sur le terrain jusqu’à la fin de l’hiver. Puis, détruire le couvert et semer la lentille après labour.

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Culture de lentilles après broyage du couvert végétal, peu de mauvaises herbes 

2. La méthode “roulage”

 

 

Une verdure résistante à l'hiver est semée pour la première fois en automne. Le seigle coupé en vert s'est révélé efficace en raison de ses rendements élevés en biomasse. Au moment de la floraison, celui-ci est pressé avec un rouleau à sertir spécial et plié plusieurs fois afin d'interrompre le flux de sève du seigle vers la fleur et provoquer la mort de la plante. Dans le même passage, les graines (soja, lentilles, maïs) sont enfouies dans le sol à l'aide de la machine sans labour montée à l'arrière. Si la végétation est suffisamment dense et laisse, après roulage, une couche de paillis d'au moins 8 à 10 tonnes de MS/ha sur la zone, les mauvaises herbes sont privées de lumière. Dans le même temps, grâce à l’ombrage permanent du sol, les vers de terre peuvent travailler près de la surface et améliorer la structure du sol. La couche de paillis maintient le sol plus humide et réduit l’évaporation. Un système ingénieux qui présente également ses faiblesses dans certaines conditions, notamment lorsque les graines de la culture principale ne peuvent pas germer de manière optimale lors d'une sécheresse printanière. Des recherches supplémentaires sont encore nécessaires afin de développer davantage cette méthode de culture fondamentalement prometteuse.

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Culture de lentilles sur un couvert écrasé, peu ou pas de mauvaises herbes. 

3. La méthode simple

 

Pas de mise en place de couvert végétal. Labourer et semer la lentille. Désherbage mécanique.

Culture de lentilles classique, beaucoup de mauvaises herbes.

La création du système de compostage

 

 

Grand a eu son premier contact avec la science il y a 20 ans lors d'un voyage aux États-Unis. A cette époque, il recherchait des concepts réussis en matière de compostage avec des vers de terre (lombricompostage) et visitait l'Université de Berkeley en Californie. Une étude sur le lombricompostage a été menée ici, mais les chercheurs ont atteint leurs limites faute de référence à la pratique. Ils produisent le vermi compost pour le vendre et l’utiliser sur leur ferme. Ils le vendent à des garden center, des producteurs de plantes, vignerons, agriculteurs, jardiniers du dimanche…

 

 

Le compost fait partie du cycle naturel. Il résulte de la décomposition microbienne de matières organiques mortes sous l’influence de l’oxygène (conditions aérobies). Le vermicompost est produit à température ambiante à l’aide de vers de terre épigée organismes clé pour la production d’un compost de haute qualité. Cette méthode imite la nature et donne un compost avec une communauté microbienne diversifiée. Les microbes ne sont pas tués par la hausse de la température, comme c’est le cas souvent dans les compost thermophile (compost à chaud).

Les vers de terres épigés au travail 

Le vermi compost est réalisé dans des grands bacs en bois. Les vers de terre se situent dans la partie supérieure des contenants en bois, ils s’alimentent de la matière organique déposée à la surface. Le matériel d’entrée (matière première) pour le vermicompostage est essentiel. Alfred utilise des matériaux certifiés biologiques ou à valeur écologique comme le foin de luzerne biologique, le blé biologique et la paille de chanvre. Les vers de terre digèrent la matière organique et cette nouvelle matière descend par gravité dans le bas des contenants, passe dans un crible et tombe sous les bacs. On obtient le produit fini qui peut être utilisé !

L'installation pour le lombri compost 

Différence avec le compost classique (à chaud)

 

Bien que la rotation soit une étape clé du processus de production de compost à chaud, les perturbations mécaniques ne sont pas permises pour le vermicompostage (Dominguez et Edwards, 2010) puisque l’action des vers aère le matériau.Ces composts diffèrent tant par les systèmes de production que par les caractéristiques des matériaux produits. Le vermicompost est généralement plus riche en nutriments totaux (à cause de la réduction de volume accrue pendant la transformation), mais a également une proportion plus élevée de nutriments disponibles pour les plantes. Le microbiome (communauté des microbes) est plus diversifié que dans le compost à chaud, parce que la température élevée tue beaucoup d’organismes. Le vermicompost contient des quantités importantes de phytohormones (comme l’auxine, la gibbérelline et la cytokinine), qui sont produites par des bactéries du genre Pseudomonas et favorisent la croissance des racines.

Le produit final mélangé à de la cendre

Le processus de vermicompost ne tue pas les graines de mauvaises herbes, il est donc essentiel d’éviter de semer des graines dans les matériaux d’entrée, ou d'utiliser une combinaison de compost à chaud et vermicompostage pour la production. Dans les régions tempérées, le vermicompostage peut être effectué à l’extérieur, mais si les conditions météorologiques sont difficiles (froid ou chaud), la méthode devrait être menée à l’intérieur et (parce que des coûts plus élevés) dans un processus à flux continu, qui est beaucoup plus efficace que les tas de terre. Les méthodes à flux continu alimentent d’un côté (le plus souvent sur haut) et récolte par le bas. Les de terre épigées restent dans la partie supérieure de 15-20 cm si appropriée, de sorte que lorsque la récolte a lieu en bas, les vers de terre n’ont pas été séparés du produit final.

Si les vers de terre n’aiment pas leur nourriture/environnement, ils ne se reproduisent pas et finissent par disparaître. Les vers de terre ont certaines exigences environnementales : Température 15-30 °C, teneur en humidité de 60 à 80 %, niveau de pH 6 à 8, conditions entièrement aérobies et quantité suffisante d’aliments (rapport C/N 25:1).

 

5 000 000 vers de terre produisent 500 m3 de bio humus par an.

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Plantation de céleri soumises à des recherches scientifiques car différentes préparations du sol

Grand Garten c’est encore une autre façon de voir le bio. On a apprécié découvrir le concept de Market Garden et de voir de nos propres yeux un modèle de maraîchage bio intensif. Nous retiendrons les trois concepts clé liés au bio intensif : diviser l’espace de culture en planche, préparer le sol et désherber avec des outils manuels, élaborer un plan de rotation annuel

Les planches de production à Grand Garten 

La partie recherche offre à Alfred de nouvelles possibilités de culture. La production de lombri compost 

 nous a permis de découvrir que cette méthode est efficace et qu'elle peut être envisagé à grande échelle. 

Récolte d'oignons 

Vous pourrez retrouvez Alfred Grant, et sa vision du bio en Autriche dans notre futur reportage ! 

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