La vie au plein air à la ferme des cornouilles
Un élevage de cochon est forcément hors sol ? Eh bien non ! En tout cas pas chez Jennifer et Hugues Molly à la ferme des cornouilles. Cette ferme familiale nous a ouvert ses portes pour notre deuxième et dernier arrêt dans l’hexagone.
Après avoir découvert le sud Isère et le Royan, c’est dans le Nord de l’Isère que nous avons déposé nos valises. Nous avons été accueillies chez la famille Molly qui nous a partagé leur quotidien pendant deux semaines. Ces derniers sont passionnés par l’élevage et l’on s’en rend compte très rapidement que ce soit à travers leurs interactions avec leurs animaux ou leur collection impressionnante de magazines spécialisés en élevage, qui envahissent rapidement leurs toilettes.
Une vocation pour l'agriculture
Hugues a toujours été dans le milieu agricole, « je suis tombé dans l’agriculture quand j’étais petit. Je suis fils, petit-fils et arrière-petit-fils d’agriculteur ». En revanche, Jennifer est originaire d'un milieu urbain. Bien qu'elle ait grandi à Montpellier, dès qu'elle se rappelle, son aspiration a toujours été de faire de l'élevage. Hugues commence sa carrière agricole directement après l’obtention de son bac. "Quand je suis arrivé en terminale, j’avais le choix entre faire le service militaire ou bien deux ans d’objection de conscience dans une association." Il a donc commencé par faire un BTS de machinisme agricole et en parallèle, il aidait son père à recréer une exploitation agricole à Torjenas en Isère. Après ces deux années de BTS, Hugues est parti faire de l’insertion par le travail, dans une ferme dans le Sud-Ardèche, à travers des chantiers de jeunes ou encore diverses animations. « J’étais plutôt quelqu’un de manuel, mon savoir-faire, c’était d’utiliser une pioche, un tracteur, des truelles,… J’ai donc profité de l’objection de conscience pour faire passer ce savoir-faire. » Ces deux années lui ont tellement plu qu'il décide de s'y installer. De ses 20 à 30 ans, il gère cette ferme avec d'autres associés et c'est là qu'il rencontre Jennifer.
Jennifer, après son bac, réalise un BTS ACSE (analyse, conduite et stratégie de l'entreprise agricole) à Aubenas en Ardèche. Pendant ses études, elle se rend compte qu'elle préfère être à l'extérieur, au contact des animaux, et que les heures de comptabilité lui semblent interminables. Ce qu'elle aime vraiment, ce sont les stages. C'est lors de l'un d'eux qu'elle découvre l'exploitation gérée par Hugues, où elle restera deux ans.
« On est parti d’Ardèche un peu en courant parce que socialement, ce n'était pas très stable. On était pas du tout chez nous et c’était très compliqué de construire une vie de famille. »
En 2003, ils ont donc remonté un projet d’installation dans la région natale d’Hugues : le Nord-Isère. Ils se sont installés à trois avec un de ses camarades de lycée, Francis, avec lequel il avait été en Ardèche. « On a repris deux fermes, celle à la plaine sur laquelle on est actuellement, et une à Chalone à 10 km. » Un problème vient vite se poser au sein de leur GAEC. Pour Jennifer et Hugues, le travail d’agriculteur est le ciment de leur couple, ils veulent travailler ensemble et en vivre alors que « Francis étant marié avec une médecin, il n’avait pas besoin de l’agriculture pour vivre. »
« On a travaillé 4/5 ans ensemble et après, on s’est séparés, car on n’était pas sur les mêmes longueurs d’ondes au niveau familial »
Après leur séparation en 2007, Hugues reprend la ferme de Saint-Baudille, tandis que Francis garde celle de Chalone. À cette époque, Jennifer ne travaille pas beaucoup à la ferme, car elle est en congé maternité et s'occupe de jeunes enfants. "Une fois son congé parental terminé, elle est devenue salariée de la ferme, qui était à mon nom", explique Hugues. En 2013, les Molly décident de reprendre une exploitation de 70 hectares non loin de leur ferme. Puis, en 2019, ils choisissent de nouveau d'acquérir 70 hectares supplémentaires dans une autre exploitation pour cultiver des céréales et ne plus dépendre de l'extérieur pour l'alimentation des animaux. "Avec cette nouvelle ferme, nous avons pu créer un GAEC pour assurer la transparence de la structure."
« Ça ne servait à rien qu’on monte un GAEC avant. La seule utilité d’un GAEC, c’est la transparence. »
Hugues nous explique qu'avec un GAEC, les aides ne sont pas doublées : "cela ne multiplie pas par deux les plafonds." Toutefois, en créant le GAEC, ils ont clairement montré qu'ils avaient deux fermes distinctes. Il précise : "Par exemple, quand une aide est plafonnée à 10 000 euros par agriculteur, pour nous, c'est 20 000 euros parce que nous sommes deux agriculteurs. De même, lorsque les 52 premiers hectares sont subventionnés, nous bénéficions de l'aide pour 104 hectares, car nous avons prouvé que nous avons réuni deux fermes." Attendre quelques années avant de passer en GAEC présente un autre avantage : Jennifer, en tant que salariée, a pu bénéficier de toutes les aides au congé parental. "Pour un agriculteur, ces aides sont accessibles, mais c'est très compliqué. Il faut prouver que tu arrêtes complètement ton activité pour en bénéficier, ce qui est souvent impossible."
« C’est un non-sens, tu ne peux pas arrêter et ne plus mettre un pied sur ta ferme. C’est sûr que tu reviens trois mois après et qu’il n’y a plus de ferme. » (Hugues en parlant du congé maternité dans l’agriculture)
Voilà leur histoire. Depuis 2019, le GAEC Molly opère sur deux exploitations. Ils élèvent des cochons en plein air et des vaches charollaises. Presque toute l'alimentation des animaux est produite sur leurs terres. Dans les parties suivantes, nous examinerons plus en détail leurs différentes activités.
Une région adaptée à l’élevage
Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans l’élevage ? « L’élevage, on n’a pas choisi, de toute façon le territoire, il ne peut pas faire autre chose. Sur Saint-Baudille, il y a 70 ha, il y en a peut-être 12 de labourables. »
Les Molly se sont lancés dans l'élevage de cochons parce que l’associé de leur premier GAEC possédait déjà un élevage porcin. "Quand nous nous sommes installés ensemble, nous avons apporté le troupeau de cochons." De plus, pendant que Hugues travaillait en Ardèche, il faisait partie de la CUMA des Cochons Bourrus, le premier atelier de découpe en CUMA en France. Il connaissait donc bien l’élevage porcin. "J'ai toujours travaillé dans la viande." Lors de la séparation du GAEC, Francis a conservé l'élevage de poules, le maraîchage de plein champ et quelques cultures céréalières, tandis que les Molly ont pris en charge la filière viande (vaches et porcs). "C'est ainsi que les cochons sont arrivés, et nous avons constaté que sur les terrains caillouteux de Saint-Baudille, cela fonctionnait très bien."
« Le territoire de Saint-Baudille n’a jamais autant produit que depuis qu’il y a des cochons »
Pourquoi avoir choisi l'élevage en plein air pour les cochons ? Hugues explique que, en tant que locataire et étant donné que le propriétaire ne permet pas d'apporter des modifications à la ferme, ils ont dû imaginer un système d'élevage porcin sans recours au béton. ”On a lancé ce système suite à cette contrainte-là, et finalement, c’est un système qui marche bien aussi et qui a du sens.”
« On ne reviendrait jamais en arrière aujourd’hui même si on était propriétaire. »
L’élevage bovin
Lors de notre arrivée, l’élevage bovin est en plein changement.
Le premier changement est motivé par la diminution de la production des prairies en été, due au réchauffement climatique. En conséquence, ils ont dû ajuster leur période de vêlage. Un veau nécessite environ 9 à 10 mois pour se développer correctement et il doit avoir un accès constant à une alimentation appropriée. Auparavant, la qualité de la nourriture diminuait en hiver en raison du passage à des aliments secs. "Maintenant, nous remarquons que c'est en été que cela devient de plus en plus difficile, car les vaches se retrouvent sur des prairies desséchées." Ainsi, la stratégie adoptée pour traverser l'été est de sevrer les veaux avant cette période. "Nous plaçons alors les vaches qui n'ont pas besoin de produire sur les prairies, mettons les veaux à l'intérieur et les alimentons avec une nourriture de qualité. En hiver, si nous avons de bonnes récoltes, nous pouvons soutenir les lactations et élever les veaux également." Auparavant, les vêlages se déroulaient au printemps, ce qui correspondait au pic de lactation des vaches, et comme il y avait suffisamment d'herbe en été, cela fonctionnait bien. Cependant, lorsque les ressources deviennent insuffisantes en été, il faut compenser en fournissant de la nourriture supplémentaire. Cependant, en agriculture biologique, il n'est pas très bénéfique de nourrir les animaux à l'extérieur en été. En effet, le maintien des animaux sur des prairies qui peinent à se régénérer, car les vaches consomment toute l'herbe disponible, pose problème. De plus, lorsque la nourriture est apportée à l'extérieur, les vaches défèquent là où elles ont été nourries. Ainsi, si elles restent sur ces prairies non-productives, cela les abîme, les rend excessivement fertilisées et crée un déséquilibre dans la fertilisation. "Si vous êtes en sur-fertilisation ici, vous serez en sous-fertilisation ailleurs." Il est donc logique de nourrir les animaux à l'intérieur, ce qui permet de récupérer le fumier pour le réutiliser là où la matière a été prélevée (comme là où le foin ou la paille ont été récoltés). Sur la ferme, ils se sont toujours interdit de donner à manger l’été à leurs animaux.
« On a toujours essayé de trouver d’autres solutions. Quand on nourrit, c’est toujours à l’intérieur pour récupérer la matière organique pour la remettre là où on l’a prélevée. »
Ce qui se passe également, c'est qu'en élevage biologique, ils n'ont pas l'autorisation d'importer de la matière organique de l'extérieur. Ils doivent donc gérer celle-ci au sein de leur propre exploitation. "Quand on peut simplement acheter des sacs d'engrais, on ne se soucie pas vraiment de déplacer la matière organique d'un endroit à un autre. En agriculture biologique, on est obligé de la gérer. Sinon, on se retrouve avec des parcelles sur-fertilisées qui ne produisent pas, tandis qu'à d'autres endroits, on pompe des nutriments sans les réintégrer."
Une autre stratégie pour gérer l'été consiste à diviser la ferme en deux secteurs, chacun couvrant 50 hectares. Le premier secteur correspond à la zone de printemps, tandis que le second est destiné à l'été et à l'automne. Ils parcourent certaines parcelles deux ou trois fois au printemps, puis changent de secteur pour la période estivale et automnale, et ainsi de suite chaque année. "Cela signifie que vous vous retrouvez avec des plantes un peu sèches au début de l'été, mais cela fait du foin. Couper en juillet pour nourrir en août est inutile ; autant laisser directement les vaches pâturer."
« Ce qu’elles abîment, ça ne paye pas les heures de tracteurs que tu passes dedans. »
Avec cette approche, les parcelles intensivement exploitées au printemps ont toute la période estivale et automnale pour se régénérer, tandis que celles exploitées en automne disposent du printemps pour se renouveler. Les plantes ont ainsi le temps de recharger leurs réserves et de se développer. Ainsi, la ferme est divisée en deux secteurs, chacun composé de différentes parties. Chaque partie est subdivisée en quatre parcs, et tous les dix jours, les animaux sont déplacés, qu'ils aient fini ou non de brouter. Cette rotation se poursuit jusqu'à la fin de juillet, de sorte qu'au bout d'un mois et demi, les animaux reviennent au même endroit. "Elles retrouvent ce qu'elles n'ont pas mangé auparavant, les plantes ne sont pas affaiblies, elles repoussent un peu. Et lors du dernier tour, elles nettoient complètement le parc." Cette même stratégie est appliquée au secteur d'automne.
Le deuxième changement concerne le mode de commercialisation. Il y a trois ans, ils vendaient leur viande bovine dans les magasins Biocoop. Pour répondre à la demande, ils devaient abattre une vache tous les 15 jours, soit environ 25 bêtes par an, nécessitant ainsi la naissance de 26 à 28 veaux annuellement. "Nous avions un troupeau d'environ 100 bêtes. Nous courions partout... Surtout pour le foin." Après cette période, ils ont perdu leur contrat avec les Biocoop et ont décidé de réajuster leur troupeau. "Nous avions un troupeau adapté à la commercialisation, mais pas forcément à la production locale." Leur objectif actuel est de retrouver un troupeau adapté aux capacités de leur territoire. Les principaux facteurs limitant la production chez eux sont l'épaisseur du sol et les défis posés par l'été, notamment avec le réchauffement climatique. "Globalement, depuis que j'élève des vaches, la surface nécessaire pour nourrir une vache a doublé par rapport à il y a 20 ans." Ils envisagent donc de réduire leur charge animale à l'hectare en passant à un troupeau de 60 têtes, voire même 40 têtes. Cela leur permettra également de se libérer de la pension de 70 hectares, "qui est difficile à gérer, car nous ne sommes pas chez nous". En parallèle, ils prévoient de développer un atelier de transformation de la viande dans leur dernière ferme acquise. "Nous espérons gagner notre vie en mettant davantage l'accent sur la transformation et moins sur l'élevage."
« En fait, c’est revenir à la quantité de soleil et d’eau qui tombe sur nos terres, qui nous permet de produire tant de kilos céréales, tant de kilos de foin et en mettant en face les cochons (pour les céréales) et les vaches (pour le foin). Ces deux activités, autant les emmener le plus loin possible jusqu’à les mettre dans la bouche du consommateur. »
Actuellement, le prix de la viande bovine étant avantageux, les carcasses partent directement à la coopérative Unebio. C’est une association nationale d’éleveur bio. « Il y a quelqu’un qui passe dans la cours et qui emmène la viande. Tu leur annonces juste le nombre de vaches que tu as ». Pour les mâles broutards, ces derniers sont vendus à Francis pour l’engraissement.
L’élevage porcin
Pour les cochons, c’est la même histoire. Le cheptel a dû être réadapté à la capacité de production de la ferme. Actuellement, 20 ha sont attribués au parc pour les cochons. Avant, la ferme des Cornouilles abattait 4 cochons par semaine. « On était en surproduction d’animaux par rapport à ce que l’on produisait. » Ils sont donc passé à 3 cochons par semaine ce qui leur permet de gagner 5O bêtes par an. Leur objectif est de trouver un équilibre chaque année entre la production animale et végétale. " L’idéal, c’est que quand tu arrives aux récoltes, il t’en reste de l’année d’avant que tu ne sois pas en flux tendu." À l'heure actuelle, le cheptel se compose de 30 truies de race Landrace et large white, accompagnées de 4 verrats chargés de la monte naturelle. Chaque truie a deux portées par an, ce qui équivaut à une portée tous les 6 mois. Si une portée compte moins de 10 porcelets, la mise-bas n'est pas considérée comme rentable. Les porcelets sont vendus à des engraisseurs à l'âge de 7 semaines.
Voyons sur la ferme comment se passe l’élevage. Les truies allaitantes sont logées avec leurs porcelets dans des cabanes de maternité, isolées et non chauffées. Un fil de clôture à hauteur de genou entoure les cabanes, retenant les mères tout en permettant aux petits de circuler librement. Une nouvelle norme impose aux élevages porcins d'installer des clôtures enterrées jusqu'à 30 cm de profondeur autour des parcs pour éviter tout contact avec la faune sauvage. Après, quelques semaines avec leurs mères, deux ou trois portées sont regroupées dans un même parc. Cela permet au cochon de se connaître. Si cela n’est pas fait, il est impossible de les mélanger plus tard. Une fois sevrés, pesant environ 11 kg, les porcelets sont transférés dans une stabulation avant d'être envoyés dans un élevage d'engraisseurs. Toutefois, une partie des porcelets reste sur la ferme pour être engraissée en vue du renouvellement du cheptel. Sur le reste de la ferme, les cochettes (première mise-bas), les truies et les porcs charcutiers sont répartis de la manière suivante :
Les truies et les cochettes en reproduction partagent un parc avec les verrats, avec un verrat par parc, totalisant ainsi 4 parcs pour les truies en reproduction. Les truies gestantes sont logées dans un autre parc, tandis que les porcs destinés à l'abattage sont encore dans un autre parc. La ration alimentaire est ajustée en fonction de la condition de la truie (gestante, allaitante, en reproduction). Les gestantes reçoivent une allocation de 1 seau par tête, celles en période de reproduction reçoivent ½ seau par tête, et les truies allaitantes reçoivent entre 1 et 1,5 seau par tête, en fonction du nombre de petits. Les porcs destinés à l'abattage reçoivent quant à eux un seau par tête. Les seaux sont composés d'un mélange de céréales et de protéagineux, chaque ration étant adaptée en fonction de la phase de reproduction ou de la destination finale du porc (gestante, allaitante, ou charcutier).
Chaque semaine, trois cochons sont transportés à l'abattoir de Chambéry, puis leurs carcasses sont récupérées et acheminées vers un laboratoire de transformation situé à proximité de l'abattoir. Dans ce laboratoire, toute la carcasse est utilisée, car comme on dit, tout est bon dans le cochon. Tout d'abord, un boucher se charge de découper le porc, recevant un salaire de 30 € de l'heure. Pour Hugues, la découpe prend en moyenne 4 heures et demie. Ensuite, un employé du laboratoire se charge de la transformation. Selon les morceaux, il fabrique du saucisson, des caillettes, du pâté en croûte, etc. Ce travailleur facture ses services à 1 € par kilogramme de carcasse.
La ferme parvient presque à l'autosuffisance en matière d'alimentation pour les cochons. Le seul produit importé est le son de blé. En ce qui concerne les céréales, 50 hectares sont dédiés à leur culture. Sur ces terres, 15 hectares sont partagés entre les cultures de luzerne et de foin. Le cycle de rotation mis en place s'étend sur 6 ans. Il comprend 2 années de culture de luzerne, suivies de 2 années de triticale/pois, puis une année d'orge de printemps, avec une autre option pour la dernière année, pouvant être un retour au triticale/pois ou à la luzerne. De plus, sur les 20 hectares irrigables des terres (sur les 50 hectares), du soja est cultivé. Sur ces parcelles, le soja remplace la luzerne.
Cependant, ils n’ont pas encore assez de recul sur cette rotation. En effet, ayant acquis ces terrains en 2019, leur rotation culturale n’est pas encore terminée. « De toute façon, la rotation culturale se met en place aussi en fonction de comment est ton sol. » Ainsi, rien n’est gravé dans le marbre et cette rotation pourra changer au fil des années.
« Tous les trucs qui sont bien cycliques, produisent toujours les mêmes mauvaises herbes, parasites. Moins c’est cyclique, plus c’est performant. »
Ce système leur permet d’avoir « une autonomie sur la ferme défiant toute concurrence ». Cela leur tient à cœur, surtout suite à la perte des marchés avec les Biocoop. Cet événement leur aura permis de se rendre compte de l’importance de maîtriser la commercialisation. À l'époque où ils commercialisaient leurs produits dans les Biocoop, ils avaient trouvé un système plutôt avantageux. Les Molly étaient responsables de la gestion du rayon à la Biocoop. Cela impliquait un processus particulier : au lieu de passer des commandes, la Biocoop leur fournissait un inventaire des produits restants le samedi soir. Ensuite, le lundi, ils transformaient tous les produits restants du rayon de la semaine précédente dans le laboratoire. Une fois cette transformation effectuée, ils réapprovisionnaient les rayons le lundi après-midi avec ces produits fraîchement préparés. C'était un système efficace qui leur permettait de maintenir une offre variée et fraîche pour les clients tout en minimisant le gaspillage alimentaire. Cette approche nécessitait une coordination minutieuse pour s'assurer que les produits étaient transformés et remis en rayon en temps voulu, mais elle offrait également une flexibilité précieuse pour s'adapter aux fluctuations de la demande et aux disponibilités des produits "Tout cela me permettait de gérer l’équilibre matière. Eux ça leur garantissait un rayon sans pertes et moi de l’autre côté, j’avais un équilibre matière parfait. ” Il s'agissait d'un contrat d'exclusivité, ce qui signifiait que la Biocoop ne pouvait pas se fournir en cochon ailleurs. Cela leur a également permis de négocier une marge assez basse de 18 %, comparée aux 25 à 30 % pour les contrats classiques. « Mais ce n’était pas chez nous. » Depuis, ils se sont engagés dans un point de vente collectif. Avec ce système, ils peuvent choisir quels cochons ils souhaitent mettre à la vente et pas que les « porcs parfaits » exigés par la Biocoop « On est chez nous, c’est notre commercialisation. On est associés dans ce magasin, on a nos parts sociales ».
« La vente directe est le meilleure moyen de valoriser ses produits. Bio ou pas bio »
Partie 3 : Et le bio ?
Pas de soucis de conversion pour la ferme des Cornouilles. La ferme qu’ils ont reprise était déjà en bio. « De toute façon, on était déjà bien bio dans nos têtes. » Lorsqu’ils étaient en Ardèche, ils étaient déjà quasiment bio. Ils avaient seulement pris la décision de ne pas payer le label, car l’ensemble de la production était vendu en vente directe et ils avaient acquis la confiance des consommateurs. Cependant, en 2019, ils ont dû entreprendre la conversion de leur nouvelle ferme. La première année de conversion est une année administrative, pendant laquelle la production est désignée comme C1, c'est-à-dire non-biologique. "C'est une année, purement calendaire", explique-t-il. L'année d'après-appelée C2, est aussi considérée comme non-bio, mais "lorsque la production C2 est auto-produite, elle peut représenter jusqu'à 70 % de la ration pour les porcs bio."
Les Molly ont adopté une stratégie pour minimiser la perte de production bio. Pendant la période de C1 (première année de conversion), les récoltes sont produites selon les normes bio mais vendues comme non-bio. Par conséquent, ils ont décidé de payer le cédant pour passer en bio l'année précédant la reprise de la ferme (en juin pour une reprise en janvier). Cela leur a permis d'avoir l'ensemble de leur récolte de l'année suivante en C2, donc utilisable dans la ration des animaux. Ils n'ont pas perdu l'année C1, ils ont profité à 70 % de l'année C2 et l'année C3 est entièrement bio !
Tout au long de cette conversion, la ferme a pu toucher des aides PAC. Cette aide a duré 5 ans. C’est une aide forfaitaire à l’hectare, les agriculteurs touchent 200 euros par hectare de culture et 100 euros par hectare de prés.
Lorsqu'on lui demande s'il lui arrive parfois de rencontrer des difficultés dans la production en bio, il semble perplexe. Il ne saisit pas vraiment notre question. "Je ne me suis jamais posé cette question, je ne vois pas en quoi la production en bio est difficile", répond-il. Pour lui, c'est simplement l'avenir de l'agriculture. "Cela a toujours été une évidence pour moi", explique-t ‘il.
« C’est parce que tu mets de l’engrais et que tu as des plantes démesurément grandes et serrées que les champignons se développent. La lumière ne rentre pas et l’humidité est très forte en bas. Nous la lumière dans les cultures bio, elle descend jusqu’en bas. »
Pour les animaux, le raisonnement est différent. Lorsque ces derniers sont vraiment malades, ils utilisent des antibiotiques. « Tu ne laisses pas mourir tes animaux. Au pire, tu les déclasses. » Pour lui, la chimie est une assistance et une dépendance. « La dépendance arrive dans la tête des gens, c’est ça le plus dur. » Pour eux, le parasitisme est une grille de lecture de l’état de leur troupeau. « S'ils sont parasités, c’est soit parce qu’ils sont trop en forme, soit pas assez. »
« Pour moi le parasitisme, c’est un baromètre, c’est pas une maladie. »
Alors pourquoi il n’y a pas plus de personnes convaincues par ce système ? Ils nous répondent que pour eux cela vient de tout le conseil qu’il y a autour. « Si tu n’as pas un peu de clairvoyance et d’auto-analyse de ce que tu fais, tu glisses là dedans. C’est la facilité. » Pour eux, c’est une agriculture de spéculation. « On te fait toujours croire qu’en mettant ça, tu vas gagner plus ».
Pas tout beau le bio
Cependant tout n’est pas tout rose dans l’agriculture biologique. Pour eux, le label bio est un label de « business et sans éthique. » Ce n’est pas une valeur humaine d’après eux. Le seul pouvoir d’achat des consommateurs est donc de savoir à qui ils achètent et où. « Et ne pas dire : je veux que ce soit moins cher parce que j’achète au producteur. » Pour les contrôles, c’est pareil, selon eux, il y a beaucoup de non-sens. Chaque année, ils reçoivent un contrôle prévu et un contrôle inopiné. « On hallucine à chaque fois sur l’inefficacité du contrôle. » Ils nous expliquent que ce n’est qu’un contrôle administratif, que les personnes qui viennent sont incompétents sur l’agriculture. « Tu leur fais passer n’importe quoi. » Pour eux, le fait de mettre des règles pour le bio est un signe de non-confiance. « Quand ils arrivent dans la cour, tu dois justifier que tu travailles bien. Eux, ils viennent là en pensant que tu fais mal ton travail.»
« C’est un scandale de devoir payer pour le label bio, c’est les autres qui devraient payer un label – issu de l’agriculture dopée – »
Un autre problème soulevé par les Molly, est l’image du bio en France. « Il y a une mauvaise presse autour des produits issus de l’agriculture biologique. » Le désintéressement des consommateurs à l’agriculture biologique est selon eux politique et culturelle. « Le bio s’est rattaché à baba cool, à écolo ». D’après eux, la bio en France est maintenant quelque chose d’assez dogmatique. « T’es bio ou pas bio. Si t’es bio, t’es génial, alors que ça ne veut rien dire. Ça n’a pas d’éthique. » La politique française, elle aussi, ne les soutient pas. Et la PAC ? Ils rigolent. « Tu fais du HVE, donc du traitement raisonné, pour eux, tu fais la même chose que le bio. » Aucun soutien donc, que ce soit du côté de l’Europe ou de la France. Cela s’est aussi vu lors des manifestations de début d’année. « Ils sont sortis avec leurs gros tracteurs et ils ont eu le droit de remettre du glyphosate ». Quelle solution donc ? « Il faudrait arrêter de mettre des aides, et de payer le produit à sa juste valeur. » Il nous explique que les aides sont de toute manière surtout bénéfiques à l’agriculture chimique et non pas au bio. Ainsi si l’on coupe les aides ce n’est pas l’agriculture biologique qui va plus en pâtir. « Tu en as pour qui les subventions correspondent à plus de 150 % du revenu. Ils rentrent un hectare et gagnent toujours plus. Il faut arrêter ça. Il faudrait plafonner ces aides. » En effet, plafonner les aides à un nombre restreint d’hectare, permettrait de créer de l’emploi et « plus il y a de monde, plus il y a de qualité. » Le problème, pour eux, est que la part de l’alimentation dans le budget des familles est décalée. « Il faudrait une vraie démarche politique de communication, une politique de santé publique aussi pour réconcilier les gens avec le bio ». Cette réconciliation devrait aussi passer par une valorisation du métier de paysan. « Nous, on doit nourrir tout le monde, mais on est de moins en moins nombreux. » Pour eux, il devrait être obligatoire que chaque citoyen fasse un an dans une ferme afin que chacun puisse être en capacité de produire sa nourriture, de faire son jardin. L’idée serait de donner une petite parcelle à chaque famille, en plus de rapprocher la population de son alimentation, cela permettrait de recréer du lien social.
Leurs engagements
La ferme des Cornouilles est affiliée à la Confédération paysanne, mais leur implication est limitée au paiement de leur cotisation. Hugues exprime son sentiment envers les syndicats : "J'ai du mal avec les syndicats, c'est toujours un combat. On est souvent contre, mais rarement vraiment pour." Il a préféré s'investir dans une association axée sur la réflexion autour de l'élevage et du changement climatique, appelée Patur’ajuste. Au sein de cette association, ils discutent de questions telles que le report sur pied ou l'adaptation du troupeau à l'exploitation. Pour Jennifer, il est important de s'engager dans d'autres activités en dehors de la ferme. Elle occupe ainsi le poste de première adjointe dans sa commune et est également impliquée dans l'association culturelle de son village.
L’agriculture dans 50 ans
L'image est frappante, évoquant une division avec des lignes tracées à travers tout le territoire. D'un côté, on retrouve des micro-fermes, dans un style ZAD et compagnie, tandis que de l'autre côté, il y a une agriculture avec de grands barbelés et des individus utilisant des tracteurs téléguidés, détachés physiquement de leurs terres et pilotant leurs machines depuis derrière des écrans. Il y a ceux qui aspirent simplement à vivre de la terre et d'autres qui ne semblent jamais satisfaits de l'étendue de leurs possessions.
Pour ne pas finir sur cette fin peu joyeuse, on va vous parler de la recommandation littéraire de la ferme des Cornouilles. C’est « l’homme qui plantait des arbres » de Jean Giono. « Ça donne toute la force de l’agriculture et du paysan. »
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On espère que cet article vous a plu ! La suite au prochain épisode ;)
Pendant quatre mois, environ une trentaine de porcs en croissance sont introduits sur un parc d'environ 1 hectare. Une nouvelle cohorte de porcs revient sur ce même parc après un intervalle d'un à deux mois. Les périodes d'utilisation des parcs varient d'une année à l'autre. L'objectif principal pour Hugues et Jennifer est de maintenir un couvert herbacé adéquat afin d'éviter que les cochons ne soient constamment dans la boue. Cette pratique contribue à améliorer les conditions sanitaires du troupeau tout en permettant de compléter et de diversifier leur alimentation.