PARTIE 1
Le collectif de la clef des sables : travailler ensemble pour construire un nouveau modèle agricole
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Au pied du Vercors, à 20 minutes au Nord-est de Roman-sur-Isère, se trouve le collectif de la clef des sables. Dans le petit hameau de Saint-Lattier, le collectif dynamise le village avec le marché et ses événements chaque jeudi. Nous y arrivons lundi de Pâques, au soleil couchant et rejoignons Clément, l’un des éleveurs du collectif pour installer notre van à l’abri de la dune des sablières…
1: Les serres de maraîchage sous le bâtiment
2: La cour de la ferme qui accueille les visiteurs le jeudi soir
3: Le nouveau bâtiment collectif de la clé des sables : fromagerie, chambre froide
pour le stockage fruits et légumes, stockage céréales, salles de réunion, séchoir PPAM….
Une ferme collective singulière
Dès le lendemain, nous rencontrons petit à petit tous les sourires du collectif : Fanny, Clément, Paloma, Nicolas, Rémy, Matthieu, Lucas, Adrienne et Marina. Tous âgés de 25 à 40 ans, ils s’associent au quotidien pour produire, en agro écologie, fruits, légumes, noix, plantes aromatiques et médicinales, ou encore céréales, farine, pains et huiles.
Dans cette longue liste, il manque une chose : LE FROMAGE ! En effet, nous arrivons sur une ferme en chantier, la SCIC a vu fleurir son nouveau bâtiment de travail tout récemment et le troupeau de vaches pie noirs est arrivé il y a deux semaines à peine…
Les génisses du nouveau troupeau de pie noir.
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Origine du collectif
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Après quelques jours à découvrir tous les ateliers, nous nous installons avec Nicolas pour échanger sur la mise en place et l’évolution de la ferme.Ce dernier nous explique que les origines de la SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) remontent à janvier 2019. Lui, Nicolas Gohier, ancien vétérinaire, observe l’herbe qui pousse sous les noyers de ses voisins agriculteurs. "Je voyais les noyers, je voyais l’herbe sous les noyers qui poussait et je voyais les tracteurs qui broyaient l’herbe sous les noyers. Je me disais: pourquoi on gaspille de l’énergie alors qu’il y a des vaches pour brouter l’herbe ? Je voulais des petites vaches sous des grands arbres”.
Il décide donc de reprendre la ferme en polyculture de René à Saint Lattier qui vient tout juste de commencer sa conversion en bio, “En discutant avec René, le cédant, ça lui parlait que sa ferme ne parte pas à l’agrandissement, qu’elle soit reprise par des jeunes et qu’il y ait de l’élevage”. Ils réalisent ensemble une période de transmission de deux ans pour les cultures pérennes : noyers, asperges et grandes cultures. Il était hors de question de travailler seul en élevage pour Nicolas.
“Qui dit animaux, dit astreinte et qui dit astreinte dit potentiellement esclavage”.
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Ainsi, Nicolas cherche activement des personnes pour rejoindre le collectif, sans vouloir tout contrôler, mais plutôt pour accompagner et voir si une collaboration à long terme est possible. Le but étant de visibiliser les prises de pouvoir, faciliter les transferts d’informations. “Ce sont encore les lignes de conduite de la ferme, je trouve”, soutient-il.
Dans un même temps, Nicolas a rencontré Lucas. Ce dernier réalisait déjà du maraîchage sur les terres que le cédant mettait à disposition aux porteurs de projet.. Aujourd’hui, il fait parti du collectif. Courant 2020, le groupe d’agriculteurs.trices s'agrandit, des porteurs et porteuses de projet les ont rejoints. Partageant des valeurs coopératives, démocratiques et des pratiques agro écologiques, ils forment progressivement la SCIC La clef des sables dans l’idée de travailler ensemble, partager des idées, du matériel et des outils car ils sont convaincus que l’installation en collectif sera porteuse !
Repas tartines-soupe organisé par l’association culturelle “le sablier” pour la pièce de Philippe Durand: LARZAC!
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Origine de la SCIC
Chaque personne du collectif a établi une “raison d’être”, nous raconte Nicolas.“ On a différents niveaux, différentes échelles de raison d’être. Il y a des raisons d'être pratiques comme faire à manger et d’autres plus systémiques telles que…mettre à bas le capitalisme! Mais en fait on est d’accord, on parle de la même chose, mais chacun d’une façon différente”. Nicolas, lui, s’intéresse vraiment à l’efficacité. Il exprime sa lassitude face au gâchis alimentaire et surtout humain. Il est lassé de voir des agriculteurs et des agricultrices qui ont des super idées, qui s’installent seul(e)s et qui s’usent au travail: “Au bout de quelques années, leurs fermes ne sont pas reprises et il faut tout reprendre à zéro”.
C’est pourquoi, les neufs associés veulent faciliter l’entrée et la sortie du collectif pour ne pas faire reposer tout le poids d’une installation sur le dos des agriculteurs.trices et répartir le coût de la construction d’un nouveau bâtiment ou d'acquisition de foncier sur les épaules des consommateurs.
Passage du rouleau sur le sol avant de semer les carottes et planter les betteraves sur la parcelle asperges, maraîchage et petits fruits au fond.
Ils se sont rapidement portés sur le choix de la création d’une SCIC (société collective d'intérêt générale), qui est une société de l’économie sociale et solidaire. Elle ne générera probablement pas de grands bénéfices, voire aucun, mais elle attire des investisseurs tout en conservant une gouvernance profondément coopérative. Nicolas explique "même si tu mets plus d’argent dans la société tu n’as pas plus de voix.”
“Dans la société, les agriculteurs n’ont pas la majorité du capital, mais ils ont la majorité des droits de vote, car on estime que c'est eux qui savent mieux gérer l’outil agricole.”
Par la suite, Fanny nous explique que la SCIC est composée de cinq collèges. Les deux premiers collèges prennent quasiment toutes les décisions car ils regroupent les permanents et producteurs associés. Les autres collèges regroupent les consommateurs et les investisseurs. Par la suite, des associations et des institutions publiques pourront faire partie de ces collèges. Toutes les deux semaines a lieu une réunion entre les neuf associés pour prendre les décisions collectives (collèges 1 et 2). L’Assemblée générale de la SCIC, elle, à lieu une fois par an, elle regroupe les autres collèges. La SCIC leur a permis, par exemple, de créer le nouveau bâtiment de la ferme. C’est cette société qui les rassemble tous. Pour le commerce, elle leur permet de rassembler leurs produits sous un même nom et logo.
Le fonctionnement en SCIC, a pour avantage de permettre une entrée facilitée. Il évite aux porteurs de projets d’investir de grosses sommes pour s’installer. L’idée est de commencer à travailler sur la ferme en tant que “stagiaire” pour évaluer son activité, déterminer les débouchés et savoir si leurs caractères sont compatibles. Pour cette première étape, il faut investir 250 euros de parts sociales. La deuxième étape de l’installation, devenir producteurs permanents, (collège un) implique un investissement de 7 500 euros de parts sociales dans la SCIC. A terme, s’ils veulent s’installer il faut investir 15 000 euros de parts sociales. "C’est de l’argent, mais ce n’est pas des centaines de milliers d’euros, comme lorsqu’on s'installe seul”.
Carottes et salades dans la serre des maraîchers Lucas et Matthieu
Pour la sortie, la grande ligne conductrice est de faire des ateliers transmissibles. “Il faut que l’atelier soit un minimum formalisé, fonctionnel et outillé pour qu’il soit transmissible à quelqu’un d’autre”. Ainsi, si quelqu'un souhaite quitter la ferme, il doit trouver un successeur, sinon il doit vendre ses parts sociales de la SCIC.
L’idée, par la suite, serait peut-être de devenir une SCOP, pour permettre aux associés de devenir salariés, de cotiser et d’avoir des congés payés. Ce n’est pas envisageable pour le moment car il n’est pas possible d’avoir des aides de la DJA en étant salarié dans une SCOP.
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Création des deux GAEC
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En réalité, c’est un peu plus compliqué que ça, nous explique Fanny, l’une des deux éleveuses. Sous la SCIC, il y a quatre sociétés : deux GAEC et deux entreprises indépendantes. Le premier GAEC (Ferme des grains de sables) regroupe Fanny et Clément en élevage bovin et fromage, Rémy le paysan boulanger et Nicolas qui s’occupe des noyers et des asperges. Le deuxième GAEC (GAEC des sablières) regroupe Lucas et Matthieu, les deux maraîchers, et Paloma qui cultive des petits fruits et réalise de la transformation. Adrienne et Marina ont, elles, des entreprises indépendantes, respectivement en production de plants et plantes aromatiques et médicinales (PPAM).
Concernant les salaires, rien n’est encore stabilisé. Ils sont tous en phase de développement d’activités. Par exemple, Rémy et Fanny sont actuellement en période de stage d'essai, rémunérés par la région. Ils deviendront prochainement les associés de Nicolas. Fanny nous confirme que la gestion des salaires est propre à chaque GAEC.
Faire le choix de s’installer en collectif
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Les atouts du collectif
Fanny nous confie qu’elle n'envisageait pas de s’installer en agriculture sans collectif. Elle est actuellement en installation. En s’installant en élevage, elle ne veut pas passer toute sa vie avec des astreintes.
“Je ne veux pas être en stress en me disant, c’est un remplaçant, il ne connaît rien… Là c’est un associé, il a autant d'intérêt que moi à ce que ça fonctionne et il connaît les animaux”.
De plus, elle ne se sentait pas à la hauteur, pas légitime, de s’installer seule en tant que femme. “Je suis une femme non issue du milieu agricole avec tout ce que ça peut induire. Pour réussir à aller contre, je trouve ça plus facile d’être en collectif, je travaille avec trois hommes, mais il y a trois autres femmes dans le collectif global.” Elle affirme que c’est plaisant de travailler sur des sujets tels que : pourquoi on se sent imposteur ? Pourquoi en tant que femme on se sent moins légitime de travailler en agriculture ? Pourquoi on a moins accès aux techniques agricoles, aux tracteurs et aux outils? avec des personnes sensibles à ce type de sujet.
Vente du pain et de plants pour le premier marché du jeudi de la saison.
Enfin, pour elle, quand on s’installe seule en tant que femme on est “attendu au tournant”. Dans le cas de l’installation en collectif, le jugement est passé de son statut de femme à son statut de néo rurale : "on est pas mal non issu du milieu agricole. De toute façon, entre agriculteurs, il y a une culture de se juger sur l’extérieur. Nous on ne vient pas avec cette culture là, mais on sait qu’on y est confronté. Je trouve que de le porter collectivement c’est d’autant plus facile d'innover, d'expérimenter, d’essayer quelque chose et de se dire bah oui là j’ai raté.”
“On est peut-être moins sensible aux regards extérieurs mais on y est confronté.”
Fanny nous explique aussi que le collectif permettra de répartir les astreintes le week-end. Dans leur système, la répartition se fera au sein du même GAEC. L’idée sera de répartir les astreintes entre les 9 associés par la suite : "pour l’instant, on en est à la mise en place, on veut connaître correctement notre fonctionnement avec les vaches pour le transmettre à nos associés”. Concernant le GAEC maraîchage, ce système a déjà été mis en place.
Réalisation du pain avec Rémy, le paysan boulanger.
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Les enjeux du collectif
D'après Mathieu, l'un des maraîchers, "travailler en collectif n'est pas toujours facile". Ils ont de nombreuses réunions et chacun doit trouver sa place.
"Le plus important, c’est de se dire les choses.”
Ils ont mis en place différents moyens de communication dans les réunions : ne pas se couper la parole, faire attention à la parité, pas de prise de pouvoir, des prises de décisions par consentement (personne ne doit s’opposer pour que la décision soit validée). Pour l’instant, pour la gestion de conflits, ils réalisent des réunions avec les personnes concernés et un meneur de débat qui est une personne du collectif non impliquée dans le conflit. L’idée, à l’avenir, serait d’avoir un tiers qui ne fait pas partie du collectif pour gérer ce type de situations.
Récolte d'asperges tout les deux jours pendant deux mois.
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Créer du lien autour
Depuis 4 ans, il y a un marché à la ferme qui fonctionne plutôt bien. La restauration et le concept de guinguette avec des événements concerts ou spectacles a été mis en place très rapidement ce qui a permis de dynamiser le marché. Ces événements sont mis en place par l’association Le sablier. “Il y a eu un accueil plutôt chouette de la plupart des gens du hameau et des gens qui ont grandi ensemble, qui habitent autour et se retrouvent à cette occasion pour boire un coup et discuter, ça nous fait un petit noyau de consommateurs”. Aussi, la ferme de René fonctionnait bien. Il avait un bon réseau autour. Ils sont en contact quotidiennement avec ce dernier qui habite dans le hameau. Ils ont donc intégré son réseau facilement. De plus, ils sont actifs dans des associations locales: L’ASA d’irrigation et le CTSG (comité de territoire sud-Grésivaudan). Un GIEE (groupement d'intérêt économique et environnemental) a été créé dans le secteur. Il les met en contact avec des voisins qui ne suivent pas forcément une approche agroécologique d’agriculture biologique, ce qui est enrichissant pour échanger des points de vue. Le matériel en commun permet aussi de faire du lien. “Ce lien vient avec le temps, ça se fait assez spontanément. On voit bien qu’il y a des gens qui mettent plus de temps à nous estimer. Je pense que certains vont mettre dix ans à venir, mais ça n'empêche pas qu’on ait un peu de lien. “
"Je suis très convaincue que le monde agricole a besoin de preuve pour donner sa confiance”.
Récolte de l’ail des ours avec Marina pour faire du pesto.
En plus de l’engagement local, la ferme travaille aussi avec des structures médico-sociales pour accueillir des personnes sur la ferme. Au vu de leur réussite dans la construction de ce système innovant, la chambre d’agriculture les as pris comme modèle pour présenter les collectifs agricoles et accueillir des personnes qui veulent s’installer en collectif.
Et pour couronner le tout, l’ensemble des associés de la clé des sables sont investis dans le monde associatif. Marina travaille avec le réseau “ferme paysannes et sauvage”. C’est un réseau de fermes à taille humaine qui œuvrent pour le retour de la vie sauvage au cœur des espaces agricoles en partant d’un postulat simple: la ferme n’est plus le problème, mais une partie de la solution. Lucas, Paloma et Matthieu font partie de l’association locale “les sablières”, avec d’autres personnes du village pour organiser entre autres des repas partagés sur des événements locaux. Paloma est syndiquée à la confédération paysanne, dans le comité département de l’Isère avec 11 autres paysans et paysannes. Enfin, La Clef des sables fait partie des fondateurs et des chevilles ouvrières à l’initiative du réseau « Des fermes partagées ». Il est composé d’acteurs agricoles et alimentaires régionaux (Ferme des volonteux, Epicerie La carline, Ferme de Chalonne, réseau GRAP…) Ce mouvement a pour but de favoriser le développement et l’entraide entre fermes collectives à l’échelle de la région Auvergne Rhône-Alpes. A ce titre, la clef des sables fera partie des projets pilotes du réseau.
Comme vous l’aurez compris, le collectif est tout récent. Fanny et Clément, les éleveurs, mettent en place leur activité. Rémy, lui, intègre la ferme du champ des sables sous peu. Le GAEC des sablières est aussi très récent. Ils n’ont pas encore beaucoup de recul sur leurs activités. Le bâtiment de la SCIC est en construction depuis cet automne. La fin des travaux sera réalisée par les 9 associés. Ils ont encore beaucoup de réunions concernant le chantier, l’organisation, etc. Ils n’ont pas encore atteint leur rythme de croisière, nous confie Fanny, mais ils construisent ensemble une structure solide et qu’ils espèrent pérenne.
Marché dans la cour de la ferme le jeudi en fin de journée avec une guinguette organisé par l’association “le sablier”.
Il y a tellement à dire sur la clef des sables…C’est pourquoi on se retrouve ce week-end pour la deuxième partie de l’article ! Au programme : présentation de quelques systèmes de production, commercialisation, agriculture biologique, et bien plus encore…